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vendredi, novembre 15, 2013

HISTOIRE: « La Grèce n’est vraiment sortie du fascisme qu’en 1974 »

Joëlle Fontaine :: « La Grèce n'est vraiment sortie du fascisme qu'en 1974 »  ("Solidaire")

Aujourd'hui, la Grèce est pratiquement sous tutelle européenne. Le pays est connu pour être « le berceau de la démocratie », mais l'est moins pour avoir été l'une des premières victimes de l'impérialisme des Alliés à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons rencontré l'historienne Joëlle Fontaine, auteure de De la résistance à la guerre civile en Grèce : 1941-1946. Elle nous donne un tout autre éclairage sur l'histoire récente de ce pays, ainsi que sur des événements peu connus de la « Libération ».

Daniel Zamora


Plus de 60 ans après la répression de la résistance grecque (photo) pour garantir la sauvegarde des intérêts britanniques en Méditerranée, l'Union européenne impose l'austérité au peuple grec afin de préserver les banquiers et les grands actionnaires.

Pourquoi écrire un livre sur la Résistance grecque aujourd'hui ?

    Joëlle Fontaine. Au départ, j'ai voulu écrire ce livre simplement pour rétablir une vérité historique. En tant qu'enseignante d'histoire, j'ai constaté que la Résistance grecque et la façon dont elle a été brisée en décembre 1944 par Churchill (Premier ministre anglais, NdlR) étaient largement ignorées, ou plutôt occultées, en France. Cela permet d'attribuer à la seule URSS la responsabilité de la Guerre froide. On oppose sa volonté d'expansion au détriment du droit des peuples à la démocratie régnant dans le « monde libre »...
    Or l'actualité est venue rappeler brutalement que la Grèce n'a jamais disposé que d'une souveraineté limitée ! Ce qui s'est passé en décembre 1944 ne suffit certes pas à expliquer la crise actuelle, mais il est bon de savoir — c'est rarement le cas de ceux qui critiquent ce pays — que l'intervention armée des Britanniques a eu pour conséquence une guerre civile de trois ans, de 1946 à 1949, suivie de régimes très oppressifs et enfin de la dictature des colonels (1967-1974). La Grèce n'est vraiment sortie du fascisme qu'en 1974 ! Cela a retardé la modernisation des structures économiques et sociales et permis le maintien d'élites parasitaires, complices de la domination britannique, puis américaine, et a entretenu la corruption et le clientélisme encore présents aujourd'hui. Du coup, pour faire face à la pression sociale et politique résultant de cette situation, les gouvernements successifs ont longtemps encouragé une émigration massive qui a privé le pays de ses éléments les plus dynamiques.
    Il est aussi bon de savoir, pour comprendre certaines réactions de la presse grecque aux critiques des Allemands, que ces derniers ont commis de terribles actes de barbarie en Grèce lors de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont laissé le pays dans un état de ruines catastrophique et n'ont jamais payé leurs dettes de guerre...

Vous dites que la Guerre froide commence en Grèce. Pourquoi ?

    Joëlle Fontaine. Une légende tenace veut que le monde ait été partagé à Yalta, en février 1945, au bénéfice d'un Staline imposant ses conditions à Churchill et à un Roosevelt (président américain, NdlR) affaibli par la maladie... En fait, les volontés hégémoniques des Alliés se sont manifestées très vite au cours de la guerre, et d'abord du côté des Anglo-saxons qui, dès l'été 1943, ont monopolisé le contrôle politique de la partie libérée de l'Italie, en maintenant d'ailleurs les cadres fascistes au détriment de la Résistance. Ce précédent servira d'argument à l'URSS pour exercer un contrôle unilatéral sur la Roumanie et la Bulgarie à la fin de 1944.
    C'est aussi à partir de l'été 1943 que Churchill se rend compte de l'importance prise par l'EAM, le Front national de libération de la Grèce, et commence à prévoir l'occupation de ce pays allié après le départ des Allemands ! Et, lorsqu'en avril 1944, les forces armées grecques réclament l'intégration de la Résistance dans le gouvernement du roi de Grèce en exil, Churchill n'hésite pas à ordonner la déportation dans des camps des soldats indociles. Il constitue alors avec les autres le corps de prétoriens qui assurera à la Libération, conjointement à ses propres troupes, le maintien de la monarchie qu'il compte bien imposer à la Grèce.

Churchill cherche donc déjà à imposer l'hégémonie des puissances occidentales ?

    Joëlle Fontaine. Exactement. En décembre 1944, en Belgique, a lieu une répression violente des manifestations contre le désarmement des partisans, menée par le gouvernement Pierlot avec l'aide du général britannique Erskine. Mais c'est à Athènes, au même moment, que se produit la première grande intervention armée — un mois de bombardements « de terre, de mer et du ciel » — pour imposer la volonté d'une grande puissance : empêcher la réalisation des objectifs démocratiques et sociaux de la Résistance et rétablir l'ordre ancien, garant des intérêts de la Grande-Bretagne.
    On est loin des beaux principes de la Charte de l'Atlantique ! Et le jour même où les partisans grecs acceptent finalement de rendre les armes, le 12 février 1945, les trois Grands (Staline, Churchill et Roosevelt, NdlR) signent à Yalta la Déclaration sur l'Europe libérée garantissant solennellement le « droit de tous les peuples à choisir la forme de leur gouvernement »…

On parle souvent du rôle — ou plutôt de l'absence de rôle — de l'URSS pendant ces événements. Pourriez-vous nous en dire plus ?

    Joëlle Fontaine. La priorité de Staline est de terminer le plus vite possible la guerre. Il ne veut pas risquer, en soutenant les partisans grecs contre la Grande-Bretagne, de remettre en question une « Grande Alliance » à l'évidence fragile et de donner prétexte aux tentatives de paix séparée prônées par certains du côté anglo-saxon. Il a donné des conseils de modération à Togliatti (secrétaire général du Parti communiste italien, NdlR), Thorez (secrétaire général du Parti communiste français, NdlR) et Tito (secrétaire général du parti communiste de Yougoslavie, NdlR). Aux communistes grecs, Staline n'a pas donné de consignes, faute de communication directe et parce qu'il considère le pays depuis longtemps dans la « sphère » britannique. Mais les dirigeants de la Résistance ont compris qu'ils n'avaient pas d'aide à attendre de l'URSS.
    Staline a très vite réalisé que les Anglo-saxons comptaient se réserver le contrôle des pays qu'ils libéreraient, vu le précédent italien, et que Churchill était prêt à tout pour préserver sa domination sur la Grèce. Ne pouvant s'y opposer, il en a tiré parti pour assurer ses propres positions en Roumanie et en Bulgarie, ce que lui a concédé facilement Churchill lors des entretiens de Moscou en octobre 1944. Pour la Pologne, ses alliés se sont montrés plus que réticents, exigeant qu'il élargisse le comité établi par lui à l'est de la Pologne à des éléments du gouvernement polonais en exil à Londres. Or au même moment, la Résistance grecque était définitivement exclue de toute possibilité de participation gouvernementale, et même de la vie politique du pays. Une terreur implacable s'était immédiatement abattue sur les partisans après leur désarmement...
    Mais les légendes sont tenaces, et on prétend toujours que c'est Staline qui aurait imposé des exigences inadmissibles à Yalta !

Churchill est aujourd'hui présenté comme un héros. Pourtant votre ouvrage dessine un tout autre homme.

    Joëlle Fontaine. L'intervention armée de décembre 1944 est en grande partie l'œuvre personnelle de Churchill. Certes, le Foreign Office (ministère des Affaires étrangères britannique, NdlR), a toujours comme objectif le maintien de la domination britannique sur la Grèce, qui est un point stratégique important en Méditerranée orientale. Mais alors que Churchill ne voyait que la monarchie pour préserver de façon sûre cette situation, ses collaborateurs, Anthony Eden (qui dirigeait à l'époque le Foreign Office, NdlR) et l'ambassadeur Reginald Leeper se sont vite rendu compte de l'extrême impopularité du roi Georges II et ont commencé dès 1943 à envisager l'instauration d'une régence. C'était un point important, puisque les dirigeants de la Résistance et même les partis traditionnels restés en dehors de celle-ci ne voulaient pas que le roi rentre en Grèce avant l'organisation d'un référendum sur la question du régime politique.
    Or Churchill s'est entêté à refuser cette éventualité jusqu'aux tout derniers jours de 1944 ! Il a volontairement fait échouer une conférence tenue au Caire au cours de l'été 1943 qui aurait pu, de l'avis général des participants, aboutir à un accord et éviter les déchirements qui ont suivi. Au lieu de cela, il a commencé dès ce moment à prévoir le débarquement de ses troupes en Grèce au moment de la Libération.

Il a donc une véritable responsabilité personnelle ?

    Joëlle Fontaine. Tout à fait ! C'est lui, en l'absence d'Eden, qui a ordonné la répression brutale d'avril 1944 contre les forces armées grecques d'Égypte. Lui encore qui s'est opposé, début décembre 1944, au changement de gouvernement demandé par l'EAM et l'ensemble des démocrates, qui aurait pu éviter le déclenchement de l'insurrection du peuple d'Athènes. C'est lui enfin qui a refusé avec constance les demandes de négociation formulées par les insurgés tout au long des combats et demandé toujours plus de renforts au commandant suprême des forces alliées en Méditerranée Harold Alexander, malgré les réticences de celui-ci vu la situation critique sur le front italien. Il a fallu trois semaines d'affrontements sanglants à Athènes, la pression conjuguée d'Eden, Leeper, du ministre Macmillan et d'Alexander pour qu'il exige enfin du roi de Grèce la nomination d'un régent : l'archevêque d'Athènes, dont la « magnifique prestance » et l'anticommunisme sans faille l'avaient enfin convaincu…
    Churchill a fait fi des très sévères critiques de la presse britannique et internationale, ainsi que de celles des députés de la Chambre des communes (une des deux chambres du Parlement britannique, NdlR) qui ont rapproché sa politique grecque de son admiration bien connue pour Mussolini et Franco, ou encore de son acharnement dans la croisade antibolchevique qui avait suivi la révolution russe de 1917. Il y a répondu par un mépris affiché pour les « bandits grecs » et par des mensonges. Il tranché la question en exerçant un véritable chantage, en mettant en jeu ses responsabilités à la tête du pays à un moment où la guerre faisait encore rage sur plusieurs fronts.

Selon vous, quelles sont les raisons de la défaite des partisans grecs ?

    Joëlle Fontaine. Un élément important est les hésitations des dirigeants de l'EAM, dues en partie à la confiance excessive de leur composante socialiste dans les traditions démocratiques de l'Angleterre. D'où un enchaînement de décisions contradictoires tout au long de l'année 1944 : d'un côté, des concessions excessives à l'objectif d'unité nationale ; de l'autre, l'engagement final, largement improvisé, dans une épreuve de force qui a suscité partout une grande indignation mais n'a pas reçu le soutien espéré, car la préoccupation principale était de terminer la guerre.
    Les partisans n'auraient cependant pas pu être défaits sans l'intervention massive des Britanniques. L'EAM avait une puissance considérable à la Libération, et son armée, l'ELAS, contrôlait la presque totalité du territoire grec. Dans les régions précocement libérées par la Résistance, des institutions populaires élues étaient déjà en place. Les Britanniques n'ont pas hésité, pour contrer l'ELAS, à réarmer les membres des milices collaboratrices mises à l'écart à la Libération.
    L'EAM aurait pu continuer la lutte sur le reste du territoire, après sa défaite à Athènes. Il ne l'a pas fait, pour ne pas ajouter à la détresse d'une population au bord de la famine, qui attendait beaucoup de l'aide promise par les Alliés. Il comptait sur sa force et son poids politique important pour gagner les élections et réaliser ainsi son programme de changement politique et social. C'était sans compter avec la terreur dont furent immédiatement victimes ses partisans désarmés et l'ensemble des démocrates.
 
Joëlle Fontaine, De la résistance à la guerre civile en Grèce : 1941-1946, 2012, La Fabrique, 20 €.
 

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